Quand quelque chose est du domaine public, comme c'est le cas de l'environnement par exemple, personne n'en est responsable et rien ne la protège vraiment. Au contraire, quand elle est la propriété exclusive de quelqu'un-e, personne d'autre ne peut l'utiliser ni la développer tant et aussi longtemps qu'elle ne retourne pas dans le domaine public, ce qui peut prendre 90 ans aux États-Unis où la propriété intellectuelle a pris énormément d'expansion. En fait, la propriété exclusive de savoirs limite considérablement la créativité et l'innovation. Selon Jean-Claude Guédon, professeur en littérature comparée à l'Université de Montréal, il faut nécessairement repenser l'accès au savoir en d'autres termes que d'accorder à quelqu'un-e tous les droits sur celui-ci ou aucun. Le mouvement des logiciels libres et des codes sources ouverts (Open Source) fournit des solutions.
Plutôt que de restreindre l'accès aux idées et aux connaissances à une poignée de privilégié-es, les nouvelles technologies permettent de rendre l'information libre, accessible, facile à copier et à distribuer. Sans cette liberté, une foule d'innovations sont tuées dans l'oeuf. On se retrouve avec des cultures stagnantes tout en rendant les gens et institutions dépendants d'une entreprise externe, au risque de ne même plus pouvoir un jour modifier eux-mêmes leurs contenus ou y avoir accès. Marcus Bornfreund, gestionnaire du programme Droit et technologie de l'Université d’Ottawa, fait la promotion des licences créées par Creative Commons Canada. Celles-ci permettent de protéger certains droits selon les préférences de chacun-e. Elles sont faciles à comprendre - pas besoin d'avocat-es pour s'y retrouver - et permettent aux autres de savoir exactement ce qu'ils peuvent ou ne peuvent pas faire avec vos contenus.
Pour sa part, Evan Leibovitch, président du Linux Professional Institute, parle des logiciels libres actuellement développés un peu partout dans le monde, dont le populaire Ubuntu - qui signifie "Je suis qui je suis à cause de qui nous sommes tous et toutes" - développé en Afrique du Sud. Malgré le fait que le développement de logiciels libres et de la programmation Open Source soient des phénomènes tant locaux que globaux, pour les pays membres de l'ONU, dont le Canada, ils ne méritent pas d'être inclus dans l'agenda du SMSI. En fait, très peu de pays en soutiennent le développement comme ont la sagesse de le faire le Brésil, la Malaisie, le Japon et l'Allemagne qui ont intégré l'Open Source dans leurs politiques nationales. Ce sont donc surtout des individus qui les développent sans soutien public, tandis que les États-Unis promeuvent vicieusement les logiciels et codes de programmation qui sont la propriété exclusive des compagnies.
Pour leur part, sauf exception, les représentant-es de la société civile canadienne réunis à Winnipeg comprennent l'importance cruciale qu'il y a à faire en sorte que les logiciels libres et les codes de programmation ouverts remportent cette guerre vicieuse, qui se fait sans que la population soit informée des lourdes conséquences qu'entraînerait pour elle et pour la société la disparition du mouvement Open Source et des logiciels libres.
Selon un participant à la conférence, il faudrait plutôt sortir tant de "l'intégrisme" des positions préconisées par les tenants des logiciels propriétaires que des adeptes des logiciels libres. Mais M. Guédon explique qu'il serait contre-productif d'agir comme s'il n'y avait pas de guerre à ce sujet. Sans codes de programmation (ou standards) ouverts, il ne sera plus possible de développer de logiciels libres. Ces logiciels sont accessibles à tout le monde et peuvent être développés par tous ceux et celles qui en ont la capacité. Ils permettent de rendre les savoirs largement accessibles de façon durable tout en diminuant sensiblement les coûts. Les standards ouverts et les logiciels libres encouragent la coopération, tandis que les standards et logiciels propriétaires sont développés dans une logique de compétition bloquant l'innovation et dans le but de contrôler les populations. Soit la planète choisit le développement des nouvelles technologies au bénéfice des États et des entreprises privées OU à celui des personnes et des droits humains. Il n'y a pas de solution entre les deux, que ça nous plaise ou pas. À Tunis, le Canada doit absolument promouvoir le renforcement de conditions permettant le développement des standards ouverts et des logiciels libres.
Nicole Nepton, Cybersolidaires
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Le Brésil et logiciel libre, Stéphane Couture, 14.06.2005
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