Vers la fin du 19e siècle, les prostituées ont eu droit à l'aide de centaines d'organisations qui luttaient pour leurs âmes et leur salut. La plupart des prostituées assez malchanceuses d'être si bien secourues pouvaient compter avoir une vie d'esclavage comme détenues, dans des blanchisseries, des asiles et des couvents construits par des organisations se basant sur la foi et ayant récolté des milliers de dollars grâce aux dons des bons croyants, horrifiés par les histoires de ces pauvres filles des rues, trahies et tombées bien bas. Ce n'est qu'à la suite d'une négligence malencontreuse que, dans les années 1990, éclatait en Irlande le scandale des blanchisseuses ou "Maggies" (en référence à Marie-Madeleine), dont le travail d'esclaves dans les blanchisseries industrielles enrichissait le clergé catholique et les églises locales depuis au moins un siècle.
Au cours de la dernière partie du 20e siècle, un curieux phénomène se produisit : les féministes radicales, qui prêchaient depuis des années que la prostitution est une violation des droits humains et une exploitation sexuelle, se sont mises à partager le lit des conservateurs religieux, trop heureux d'utiliser ces nouveaux slogans pour légitimer leur croisade morale contre la prostitution. En parlant de lutte contre le trafic plutôt que de combat contre les comportements immoraux, il est en effet plus facile de persuader le grand public qu'il faut impérativement de nouvelles lois et des millions de dollars pour "secourir" les sexuellement exploitées. Seulement il y a désormais un problème : depuis les années 1960, les prostituées ont commencé à lutter pour leurs droits et à réclamer la décriminalisation de la prostitution consentie entre adultes. Elles croyaient cependant que le slogan "mon corps, mon choix" utilisé par les féministes pour défendre les droits sexuels et génésiques des femmes les concernaient elles aussi. Imaginez leur surprise quand elles se sont entendu dire que ces propos n'avaient aucun lien avec leur lutte parce qu'il n'y avait pas de "choix" quand on s'engage dans le sexe commercial!
L'exploitation sexuelle est un concept subjectif. Pour le renforcer, il exige l'usage d'autres mots incendiaires et trompeurs. Féministes et conservateurs les ont adoptés pour rejeter la voix des militant-es qui favorisent la décriminalisation du sexe, privé ou commercial, entre adultes consentants. Selon eux et elles, aucune distinction ne doit être faite entre le commerce du sexe entre adultes et l'esclavage sexuel. En utilisant des statistiques qui ne font pas de distinction non plus entre les prostituées adultes consentantes et les personnes contraintes à l'esclavage du sexe, on fait croire à la communauté globale qu'il y a des millions de victimes de trafic à travers le monde.
Il serait temps de changer les lois de sorte que la police et les agences internationales puissent vraiment aider celles qui sont véritablement forcées à l'esclavage, quel qu'il soit. De décriminaliser toute prostitution privée et consentante entre adultes et de permettre aux femmes de déterminer elles-mêmes si elles sont ou non victimes d'exploitation. Et quand nous aurons besoin d'êtres sauvées, nous promettons que nous vous appellerons.
Source : Norma Jean Almodovar, fondatrice et présidente d'ISWFACE et directrice exécutive de COYOTE LA, via Lilith, 26.01.2005